Regard dans le rétro: « ouvrir les yeux, l’acte de voir ». L. Jouvenel

Une compilation par Lucile Jouvenel

Une compilation par Lucile Jouvenel

Regard n°14, novembre 1998

Extrait d’une conférence intitulé “La sagesse de Patanjali selon le Yoga Sutra”

(…) D’autre part, Svadhyaya : la leçon dont le thème est soi-même. il ne s’agit pas seulement de se confronter à des situations difficiles ou inhabituelles, il faut aussi être capable d’en tirer une leçon. Cela implique que l’objectif fondamental de l’action que l’on choisit d’accomplir est de se connaître soi-même. Non pas seulement, par exemple, de faire des postures de yoga pour acquérir une meilleure santé ou un meilleur équilibre. C’est une sorte de contrat passé avec soi-même pour que ce que l’on accomplit soit fait, autant que possible, en pleine conscience. C’est à dire sans ” cligner des yeux ” comme face à une lumière trop intense … Au moment où l’on cligne des yeux, on ne voit plus. C’est en général ce que l’on fait quand on est confronté à une situation inconfortable : on se débrouille pour ne pas voir ce que cet inconfort provoque en soi. C’est pourtant à ce moment qu’il faudrait laisser les yeux ouverts, car c’est là qu’on peut voir la structure psychologique dans laquelle on est à la fois enfermée et protégée ; si on ne voit pas cette structure, il est extrêmement difficile d’arriver au troisième mode de nettoyage, Ishvarapranidhana.

Regard n°24, novembre 2002

Hikam, cité par Faouzi Skali dans Traces de lumière, Albin Michel, (Spiritualités vivantes)

La Source de l’existence nous envoie messager après messager pour nous tirer vers le haut et nous aider dans notre voyage. Toute peine ou souffrance nous tire pour ainsi dire l’oreille et nous rapproche de la demeure promise. De toutes les directions, il a envoyé sur toi l’affliction afin de te tirer hors de la direction. Entre Dieu et son serviteur, il n’y a que deux voiles : la santé et la richesse. C’est d’eux que sont issus tous les autres. Quiconque a la santé dit : «Où est Dieu ? Je ne sais pas ni ne le vois ». Mais qu’advienne l’affliction et le voilà qui s’ écrie : « Dieu ! O mon Dieu ! ». Il se met à Lui faire partager ses secrets, à converser avec Lui. La santé était donc le voile devant ses yeux et Dieu se cachait derrière sa peine. Tant qu’un homme a la richesse, il rassemble tout ce qui lui permet de combler ses souhaits; son esprit en est occupé de jour comme de nuit. Mais sitôt que la richesse le fuit, son ego s’affaiblit et il se tourne vers Dieu.

Ô ami, c’est ton amour de la vision qui t’empêche de voir. C’est ton désir extrême de la vie qui la rend fuyante et insaisissable.

La main que ta passion tend vers la source de l’être te reviendra toujours vide et déçue. Ne cherche pas, ô ami, à prendre, mais cherche à recevoir.

Porte tes yeux sur tes manques et ils seront comblés.

Porte tes yeux sur ta faiblesse et tu seras fortifié. Porte tes yeux sur ton ignorance et mille connaissances te seront données.

Porte tes yeux sur tes limites et tu verras l’Illimité.

Porte tes yeux sur ta dureté et Il t’adoucira de sa Compassion.

Porte tes yeux sur ton aveuglement et Il te donnera la vision.

Porte tes yeux sur ton insignifiance et tu seras élevé. Porte tes yeux sur ta laideur et elle s’illuminera de Sa beauté.

Porte tes yeux sur ta mort et tu recevras chaque souffle de la vie comme un don.

Porte tes yeux sur la vie passagère et tu verras l’éternité.

Porte, ô ami, tes yeux sur ton vide, car là où tu n’es plus se trouve l’Aimé.

Porter ton regard sur tes défauts cachés vaut mieux pour toi que chercher à découvrir les mystères qui te sont voilés.

Regard n°26, novembre 2003

Colette Hersnack interview Moïz PALACI, élève de Gérard Blitz et de Vimala Takar. Moïz dessine spontanément depuis son enfance et sa rencontre avec la peintre japonaise Mure IKUYO lui a permis d’étendre les principes de la peinture à l’encre de chine et du sumi-e à l’aquarelle et à la pointe grasse.

Peux-tu nous dire quelque chose à propos de l’acte de regarder, de l’acte de voir ?

Moïz: «  Pendant longtemps, je ne soupçonnais pas qu’il y ait une différence; je ne me posais donc pas la question … Puis j’ai commencé à observer les personnes rencontrées, par-ci, par-là. Et j’ai noté des différences dans quelque chose qui se trouve dans les yeux, qui n’appartient pas aux yeux, quand la personne semble simplement regarder et quand la personne semble voir. C’est difficile d’en parler, mais si on s’observe un peu soi-même, on peut sentir que les yeux sont remplis, à certains moments, d’une vivacité, d’une plénitude, d’une absence de répétition, d’une nouveauté … D’autres fois, les yeux échappent, ou glissent d’une façon distraite, rapide, sur les choses, sur les personnes. Cependant, je ne crois pas qu’on puisse séparer nos yeux de notre structure entière. Est-ce qu’on peut faire une différence entre la qualité du regard et la qualité du geste ? Quand la présence est là, elle passe dans tout 1’être. Il y a des moments où l’on perd cette présence, ce n’est pas un état garanti … C’est un va-et-vient qui déplace lentement la ligne moyenne de l’êtreté » : à travers ce va-et-vient de nos états d’être, il y a une réorganisation de la position moyenne dans laquelle on se trouve. Il me semble que c’est là que se place le changement ».

Regard n°50, octobre 2015

Parmi une sélection de poèmes proposée par Josselyne Lorin, Marcel Proust :

« Le seul véritable voyage, le seul bain de jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est; et cela nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles ».


Elstir d’après David Richardson