Les traces de l’Inde dans la tradition provençale

Je vis dans une ville fortement imprégnée par les traditions provençales et je suis, moi-même, imprégnée par une partie de cette culture. Parmi celle-ci, le tissu. Joyeusement coloré, bigarré, il traverse les générations et fait partie intégrante des costumes traditionnels provençaux mais aussi des objets décoratifs de la maison.
Lucile Jouvenel

Je vis dans une ville fortement imprégnée des traditions provençales et je suis, moi-même, imprégnée par une partie de cette culture.

Parmi celle-ci, le tissu. Joyeusement coloré, bigarré, il traverse les générations et fait partie intégrante des costumes traditionnels provençaux mais aussi des objets décoratifs de la maison.

Et pourtant les origines de ce tissu se situent en Inde.

Son arrivée en Europe marque une révolution et même des révolutions dans la technique, la rébellion des esprits, l’émancipation des femmes, les stratégies économiques et politiques, bref le microcosme des tribulations de tout à chacun vers des espaces de liberté et d’affirmation. J’aime à penser que la culture indienne porte la révolution via divers supports en parallèle de la philosophie du yoga.

Depuis longtemps, les artisans indiens avaient acquis le savoir-faire de la fabrication du coton et de la mousseline ainsi que les technicités liées à la teinture.

L’importation de ces produits rencontre très vite un très large succès. Le coton, qui n’était alors pas connu en Europe, révolutionne le textile par ces caractéristiques :

  • Accessible financièrement à un large panel, (le début de la fin du rachat des vêtements des morts par les modestes personnes),
  • Facile à laver,
  • Agréable à porter,
  • Léger et « frais »,
  • Chatoyant.

Face au chanvre, à la laine et au lin des plus pauvres ou à la soie et au velours des plus riches, le coton était tout simplement extraordinaire.

Colbert en donnant à Marseille le statut de port franc (sans douane) lui permet de développer son importation et d’acquérir un monopole sur le commerce maritime vers et depuis le Levant et les Indes.

Les freins sont levés pour la diffusion de ce textile ! La diffusion se fait dans toute la France et la noblesse se l’approprie également. Vive les indiennes, vive les cotonnades !

Cette situation provoque la révolution des manufactures royales, industries lainières et soieries lyonnaises qui voit leur chiffre d’affaire chuter.

Retournement total de la situation, même face à l’engouement de la population, il devient interdit de vendre et de porter des cotonnades indiennes : c’est la prohibition, qui durera quand même 74 ans ! (Jusqu’en 1759).

Le goût pour ces articles ne faiblit pas, la contrebande s’organise dont Aix en Provence devient la capitale avec la complicité de la noblesse.

Face à l’intense répression, plusieurs indienneurs se replient sur les territoires non touchés par l’interdiction :

  • Avignon qui appartient à la papauté,
  • Mulhouse sous protectorat Suisse et protestante donc pour qui fabriquer des indiennes est aussi une forme d’opposition au pouvoir royal.

Car pendant tout ce temps, et en raison d’une pénurie de la production indienne, des artisans français cherchent, expérimentent, produisent.

Au début la qualité des teintures est médiocre, la matière première est toujours importée d’Inde. Les cartiers (fabriquant de cartes à jouer marseillais) sont sollicités pour leur savoir-faire de mise en couleur, l’académie de Peinture de Marseille travaille aux motifs. La communauté arménienne est sollicitée pour ses connaissances.

C’est la naissance des indiennes provençales, avant l’industrialisation.

Bon à savoir, les mousselines indiennes qui ont été importées conjointement aux toiles peintes, ont libéré les femmes des carcans de la mode imposée par la cour avec l’apparition des robes chemise en mousseline.

Loin d’être désuet et de manquer d’intérêt ce bout de tissu…

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