La peinture chinoise à l’encre: peinture Tch’an ou sumie-e. Coup de coeur de S. Kergoat

Le souffle est l’énergie qui relie les choses et l’histoire de ce monde et des hommes se résume à celle de l’énergie de vie qui traverse toute chose. Telle est la philosophe Tch’an.
Solange Kergoat

Coup de coeur de Solange Kergoat pour la peinture chinoise à l’encre: peinture Tch’an ou sumie-e

« La rencontre avec cet Art ne vient pas du hasard mais d’une question. Le formateur Robert Faure, qui m’a initiée au Yoga, s’est tourné vers la formation de peinture chinoise à l’encre. Comment passe-t-on de l’enseignement du Yoga à cette peinture traditionnelle chinoise ? Piquée par la curiosité j’ai participé à l’un de ses stages. J’ai toujours crayonné mais jamais tenu un pinceau. Qu’à cela ne tienne, j’ai tenté l’aventure !

Au terme de cette rencontre, la première impression ancrée en moi fut le changement dans la manière de recevoir les impressions de ce qui m’entourait, notamment le ciel et les paysages. Sans bien savoir comment cela se passait, je percevais les différents plans, la profondeur; chaque chose regardée portait une lumière plus intense. Je me souviens également de la formidable énergie que cela a générée en moi.

Après dix ans de pratique, le covid a stoppé net la régularité des stages. Je me suis alors lancée dans la répétition régulière des bambous, des orchidées, des prunus, des chrysanthèmes pour affiner le geste et le rendre plus spontané, plus léger.

Aujourd’hui mon enseignant est parti à l’autre bout de la France. Je pratique moins cette peinture mais elle transparait régulièrement dans la pratique de l’aquarelle. J’ai notamment intégré les schémas des arbres, des montagnes, l’idée du grand, moyen, petit d’un sujet comme une écriture mais aussi l’importance du lien entre les divers plans d’un tableau sans oublier l’espace du blanc ou du silence »

Peinture à l’encre Tch’an ou sumi-e

« Un poème est une peinture invisible

Une peinture est un poème visible »

I – Aspect philosophique

Le souffle est l’énergie qui relie les choses et l’histoire de ce monde et des hommes se résume à celle de l’énergie de vie qui traverse toute chose. Telle est la philosophe Tch’an.

Dans la peinture traditionnelle à l’encre de Chine, le peintre cherche à capturer l’essence de ce qu’il va représenter sous une forme concentrée en y intégrant sa propre perception, sa propre vision qui est, elle-même, le reflet de son être intérieur.

Par une approche intérieure le peintre/calligraphe se met à l’unisson des forces qui parcourent l’univers .

« A l’extérieur je me mets à l’école de la création,

A l’intérieur je capte la source de mon propre esprit »

Zhang-Zan.

Pour parvenir à maîtriser le geste, sobre, pur, élégant et le souffle, l’étudiant doit apprivoiser son souffle comme une énergie et la diriger à travers son corps.

Le mouvement du pinceau suit celui de sa respiration.

La peinture d’un seul trait s’inscrit dans un même élan. L’esprit et la main étant vides, libres, le trait peut être fulgurant, naturel.

« La peinture exprime la grande règle des métamorphoses du monde,

la beauté essentielle des monts et les fleuves dans leur forme et leur élan,

l’activité perpétuelle du Créateur, l’influx du souffle yin et yang ;

par le truchement du pinceau et de l’encre, elle saisit toutes les créatures

de l’Univers et chante en moi son allégresse »

Shitao (1630-1714) Auteur de « Propos sur la peinture du moine

Citrouille amère.

La peinture Tch’an n’est devenue un art que tardivement entre le 6è et le 8ème siècle, en étant constamment comparée à la calligraphie. Issues de la même origine, toutes les deux y ont atteint le statut des 6 classiques ou 6 arts.

Avant que la peinture soit reconnue comme un art, les peintres n’étaient que d’humbles artisans (architectes, charrons, musiciens, sculpteurs, peintres…).

Dès les Tang (618-907), seule la technique proche de la calligraphie sera reconnue comme Art.

L’art pictural s’exprime par les formes et les couleurs, l’expression écrite par les lettres de l’alphabet, les signes, les symboles.

Le lien entre la calligraphie et la peinture à l’encre est le PINCEAU avec lequel on peut écrire et peindre. Toutes deux doivent montrer les traces de pinceau.

Avoir la même origine implique qu’elles partagent un même langage, une même philosophie et qu’elles tendent non à la beauté mais au NATUREL, à une esthétique qui ne se soucie pas principalement de ressemblance formelle et objective des formes.

Selon Zhang Yanyuan, la peinture doit être MONOCHROMATIQUE.

Cependant la spécificité de la peinture serait de DONNER LA FORME DE L’APPARENCE.

En Chine , le rôle esthétique de l’art n’est pas de représenter une chose laide ou belle, mais avant tout de TRANSMETTRE L’ESPRIT.

Au cours des siècles, le taoïsme chinois rencontre la doctrine du bouddhisme (Tch’an en Chine et zen au Japon). Ils vont alimenter et renforcer la même source d’inspiration.

La peinture traditionnelle à l’encre demande une longue et lente maturation autant par une approche technique qu’une approche intérieure nourrie de présence, de calme, d’énergie, d’humilité et de méditation.

Par ces 2 approches, le peintre va tracer sur le papier la propre expression de sa vision, elle même reflet de son être intérieur et c’est par la main, le pinceau, l’encre qu’il va traduire sur le papier cet élan d’énergie mais aussi ses erreurs, ses errances, ses fragilités, ses émotions qui seront à ajuster patiemment.

Dans cette peinture l’esquisse est inexistante, même si les croquis dans la nature font partie de la recherche de l’essentiel à transcrire. L’oeuvre, elle, est conçue et exécutée d’une seule traite sur le support vierge où aucune correction n’est possible, d’où l’importance du juste encrage du pinceau, du contrôle du trait, du « seul trait de pinceau ».

« Le coeur doit être absolument vide, sans l’ombre d’une poussière,

et le paysage surgira du plus intime de l’âme »

II – Le Matériel :

Les quatre trésors du peintre : Le pinceau, le papier, l’encre, et la pierre à encre.

« Dans l’art de la peinture,

le maniement du pinceau

est de première importance.

Ensuite vient la maîtrise de l’encre,

et enfin, celle de la couleur »

Wang Kai

Sur la plan philosophique, le matériel ne peut être distingué du tracé car il constitue également un tout cosmologique.

Le noir de l’encre correspond à la couleur du mystère ou du chaos originel, sombre puisque dans l’encrier elle n’a aucune forme particulière. L’encre possède toutes les couleurs en soi, puisqu’elle incarne la couleur du chaos et qu’elle correspond à la matrice de tous les possibles. Le noir de l’encre et le blanc du support suffisent pour représenter toutes les mutations cosmologiques en incarnant le principe Yin pour l’encre et le principe Yang pour le support.

Le pinceau tenu VERTICALEMENT établit le lien entre ciel et terre qui correspond au rôle de l’humain, celui d’ordonner les choses entre les deux forces.

Le papier, support blanc, correspond au yang. C’est grâce au support que vont s’incarner les figures écrites ou peintes.

L’encre de Chine :

Dans cette peinture traditionnelle on utilise exclusivement l’encre de Chine noire, solide sous forme de battons d’encre à frotter sur une pierre à encre. Aujourd’hui il existe des encres liquides plus pratiques à utiliser.

Bien que noire, cette encre contient toutes les nuances : les noirs, les gris et les blancs se composent infiniment. Elle exprime une perception de la couleur en contraste avec la surface blanche ce qui donne l’impression que l’image est colorée.

Ces diverses tonalités servent aussi à exprimer les émotions et reflètent le centre d’intérêt du peintre.

Le papier :

Il y a différents papiers d’épaisseurs et qualités diverses (absorbant et non absorbant) qui vont impacter la trace de l’encre et influencer l’expression du peintre ou calligraphe. Plus le papier est absorbant plus le geste sera rapide et maîtrisé.

Le Papier solide boit peu d’encre et l’absorbe mal alors qu’un papier délicat, fin reçoit bien l’encre.

Il est évident que la qualité du papier joue un rôle important pour la trace. Il doit être utilisé à l’état naturel, c’est-à-dire non traité à l’alun.

Le pinceau :

Dans la pratique de la peinture dite « d’eau et d’encre », les Maîtres ont insisté avant toute chose sur le maniement primordial de cet INSTRUMENT-LIEN irremplaçable qu’est le pinceau, qui lie la main à l’esprit. Pour illustrer ce principe Shitao nous dit:

« La peinture résulte de la réception de l’encre.

L’encre, de la réception du pinceau. Le pinceau, de la réception de la main.

La main, de la réception de l’esprit… »

Le pinceau est le même outil pour la calligraphie que pour la peinture à l’encre, notamment dans la tenue du pinceau et la maîtrise de tous les types de traits.

En peinture on emploie des pinceaux de poils différents :

– un pinceau fort correspond à un pinceau à poils peu souples (martre, loup, par ex.). Il ne prend que peu d’encre à la fois.

– le pinceau souple ou mou, en poils de chèvre par exemple renferme beaucoup de liquide, il est très utile pour les lavis..

Les poils du pinceau servent de réservoir d’encre que l’on chargera d’eau et d’encre en fonction du sujet à peindre. C’est la palette du peintre.

…………………………. La suite le mois prochain