Interdépendance, Interconnexion, Unité.

Merci à tous les participants pour ce beau moment partagé qui reflète une diversité de points de vue exprimés, sans prétendre à une vérité unique, mais plutôt en célébrant la richesse qui émerge d’une confrontation respectueuse des vérités de chacun.

Un résumé du cercle de parole du 8 novembre 2025 qui s’est tenu en présentiel chez Geneviève

Nous étions nombreux à nous retrouver chez Geneviève pour ce premier cercle de parole en présentiel (un prochain est prévu en avril 2026), heureux d’être ensemble en « chair et en os » pour ce moment de partage. De l’avis général, « la visio c’est bien, mais de pouvoir se côtoyer vraiment, c’est mieux ». D’autant que boissons et petites douceurs étaient de la partie !

L’interdépendance et l’interconnexion ? Nous nous sommes d’emblée interrogés sur ces deux notions apparemment proches mais potentiellement distinctes. La discussion révèle rapidement que ces concepts soulèvent des questions fondamentales sur notre rapport au vivant, à la société contemporaine, à la technologie, et à l’unité cosmique.

I. Interdépendance vs Interconnexion : Une distinction qui fait débat

Des perceptions initiales contrastées

Dès l’ouverture du dialogue, une différence apparaît dans la perception des deux termes. Pour certains, l’interdépendance évoque spontanément quelque chose de « plus négatif » que l’interconnexion. Cette connotation négative renvoie aux dépendances sociales, professionnelles, aux contraintes du quotidien – une forme de poids ou de lourdeur dans les relations obligées.

L’interconnexion, en revanche, est perçue comme plus légère, porteuse de « moments de partage », suggérant une dimension plus choisie, plus dynamique et créative des relations entre êtres. Cette première distinction traduit une intuition : il existerait différentes manières de vivre les liens qui nous unissent, certaines subies, d’autres embrassées.

L’interdépendance selon les traditions orientales

Cette vision négative est immédiatement nuancée par les références aux enseignements spirituels orientaux. Dans le bouddhisme tibétain, et particulièrement dans l’enseignement de Thich Nhat Hanh, l’interdépendance désigne au contraire l’essence même de l’unité : « Nous sommes tous liés. Ce que tu vas vivre, ce que tu vas dire, ce que tu vas ressentir va avoir un impact. » L’interdépendance devient alors un « reflet de l’unité », non pas une contrainte mais une réalité ontologique.

La médecine chinoise et le taoïsme apportent une dimension supplémentaire : l’interdépendance y est présentée comme « vraiment de la vie », illustrée par la complémentarité du jour et de la nuit, du yin et du yang. « Le jour n’existe pas sans la nuit. Le soleil, la lune… L’interdépendance, c’est obligatoire. » Cette vision élargit la notion bien au-delà des relations humaines pour englober notre dépendance fondamentale à la nature, au climat, aux écosystèmes.

La question du vécu : entre mode vie et mode survie

Un point de consensus émerge progressivement : la différence ne réside peut-être pas tant dans les concepts eux-mêmes que dans la manière dont nous vivons ces relations d’interdépendance. Apparaît la distinction entre « mode vie » et « mode survie ».

Dans le « mode survie », l’interdépendance est vécue comme un frein, quelque chose de douloureux ou pénible, une série d’obligations qui nous enchaînent. Dans le « mode vie », cette même réalité devient une source de liberté paradoxale : « Quand on voit qu’on est justement interdépendant, à ce moment-là, il y a une liberté possible. » La conscience de notre interdépendance avec les végétaux pour respirer, pour nous nourrir, avec les arbres qui remplissent les nappes phréatiques, ouvre sur une compréhension plus vaste de notre place dans le vivant.

II. Le modèle des arbres : une interdépendance harmonieuse ?

L’enseignement des forêts

L’une de nous rappelle « les enseignements des arbres », proposant le monde forestier comme modèle d’interdépendance authentique. Dans cette vision, les arbres incarnent une forme pure d’interdépendance. Cette interdépendance forestière fonctionne sans annonces, sans contrats, naturellement : « Souterrains, ils n’ont pas besoin de faire des annonces publicitaires pour dire qu’ils vont s’entraider. Ça se fait parce que la nature fonctionne comme ça, parce que c’est le cycle de la nature. » Les communications souterraines entre racines, via le réseau mycorhizien, créent une solidarité organique, une circulation d’informations et de nutriments qui bénéficie à l’ensemble de l’écosystème. Néanmoins les forêts peuvent être détruites par des parasites, et leur renaissance ne vient pas toujours de l’interdépendance souterraine mais parfois de facteurs externes – comme les oiseaux qui viennent se nourrir des parasites, permettant ensuite la régénération.

La nature connaît aussi la destruction, les cycles de mort et de renaissance. L’humain, avec son « lobe préfrontal », sa capacité de réflexion, ne peut simplement imiter la nature. Il y a quelque chose de spécifiquement humain dans notre rapport à l’interdépendance qui nécessite une conscience, un choix, une éthique.

III. La société contemporaine : dépendance aliénante ou interdépendance ?

La critique de la dépendance technologique

Un débat intense s’engage sur la distinction entre interdépendance authentique et dépendance aliénante. Nous sommes plusieurs à alerter sur la dépendance croissante à la technologie, particulièrement chez les jeunes générations.

Le téléphone portable devient le symbole de cette dépendance problématique. Les témoignages se multiplient : des enfants qui passent 6-7 heures par jour sur leurs écrans, à 10 cm de leur visage, coupés du paysage, de la nature, des relations authentiques. Une mère décrit ses tentatives pour limiter l’usage du téléphone chez ses filles comme un combat épuisant : « C’est vraiment une dépendance puissante comme une drogue. » Elle nous fait le récit d’une randonnée de 50 kilomètres sans téléphone, vécue d’abord « comme si je les avais envoyées en prison » puis transformatrice quand les enfants redécouvrent les arbres, la nature, les oiseaux, un véritable « sevrage ».

Plusieurs participants soulignent l’incohérence profonde du système éducatif : d’un côté, on met en garde les parents contre les dangers des écrans ; de l’autre, les devoirs sont sur des plateformes numériques (Pronote), rendant le téléphone « obligatoire » dès le collège. Cette contradiction place les enfants et leurs parents dans une situation intenable, où la dépendance technologique est simultanément dénoncée et institutionnalisée.

Est évoqué le problème de la « synchronisation des cerveaux », processus fondamental dans l’évolution humaine et des espèces, qui se perd quand on passe huit heures par jour sur son téléphone sans contact avec ses voisins. Cette désynchronisation, cette perte de lien direct, menace quelque chose d’essentiel dans notre humanité.

Dépendance ou interdépendance ? On y revient…

Un débat philosophique profond s’engage alors : sommes-nous encore dans l’interdépendance, ou avons-nous basculé dans la pure dépendance ? Pour certains, « on n’est plus dans l’interdépendance » quand quelques personnes veulent « être plus fortes que les autres, avoir de la puissance, contrôler les autres. » La vraie interdépendance impliquerait une certaine symbiose, une harmonie, un équilibre.

D’autres maintiennent que nous restons dans l’interdépendance, mais vécue de manière déséquilibrée, pathologique : « N’empêche qu’on y est. On ne quittera jamais cette interdépendance. » La technologie, les algorithmes, les géants du numérique nous rendent dépendants, certes, mais cela reste une forme d’interdépendance – seulement asymétrique, exploitante, aliénante.

Un participant formule cette distinction cruciale : « Ce n’est pas l’interdépendance qui nous a mis dans cette situation-là. C’est la dépendance. C’est la dépendance et la position qu’on a prise ou que les personnes prennent. »

IV. La question écologique et l’avenir de l’humanité

Un diagnostic alarmant

La conversation prend un tournant quand certains participants évoquent les menaces pesant sur l’espèce humaine. Les chiffres sont effrayants : 60% de perte de biodiversité dans le monde, particulièrement en Amazonie ; la France championne européenne des cancers, notamment du pancréas, en lien avec les pesticides ; la stérilité croissante à « une vitesse phénoménale » due aux perturbateurs endocriniens.

Un participant avance même : « Je suis convaincu qu’on va vers une probable disparition de l’espèce humaine « . Cette prédiction sombre s’appuie sur l’observation que les mécanismes de destruction s’accélèrent tandis que les capacités collectives de réaction semblent paralysées. Les décisions politiques vont à rebours des aspirations citoyennes : le Mercosur adopté malgré 80% d’opposition, les pesticides ré-autorisés malgré les preuves scientifiques de leur dangerosité.

Entre résignation et action

Face à ce constat, les réactions divergent. Certains évoquent une forme d’acceptation philosophique : « Peut-être que c’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à la planète que de détruire les êtres humains. Les animaux, peut-être, seront enfin heureux. » Cette vision fait des humains un parasite dont la disparition permettrait la régénération du vivant.

D’autres refusent la résignation et maintiennent la nécessité de l’action. L’un de nous évoque son combat personnel : écrire des articles de vulgarisation, informer sur les dangers des pesticides, des perturbateurs endocriniens, des plastiques dans le cerveau (5 grammes par personne !). « Créer des étincelles » dans les discussions collectives, espérant que même une petite information puisse faire réfléchir et changer des comportements. »

Peur ou conscience ?

Un débat intense s’engage sur la nature de ces alertes : s’agit-il de peur ou de conscience ? Pour certains, parler constamment de catastrophes crée et entretient la peur, qui elle-même paralyse l’action. « Si on vit avec ça, on ne vit plus. » La peur empêcherait justement l’action nécessaire.

D’autres distinguent nettement peur et conscience : « Ce n’est pas de la peur. C’est de la conscience. S’il n’y a pas de conscience, il n’y a pas d’action. » Avoir conscience des réalités scientifiques, des menaces objectives, ne relève pas de la peur mais de la lucidité. C’est précisément cette conscience qui peut motiver l’engagement, l’éducation, la transformation des comportements.

V. Le yoga comme réponse : entre transformation intérieure et conscience du réel

Ne pas fuir dans la bulle spirituelle

Les participants insistent sur le fait que le yoga n’est pas une fuite de la réalité. « Le yoga, ce n’est pas non plus fuir la réalité des choses. Avoir conscience de ce qui est, c’est important. Mais après, justement, le travail du yoga, c’est de ne pas rentrer dans la peur par rapport à ça. »

Il s’agit de voir les choses telles qu’elles sont, sans s’empêcher de regarder pour « rester dans son bien-être », dans « sa bulle », dans « l’illusion ». La pratique du yoga ne vise pas à créer un cocon protecteur coupé du monde, mais à développer une capacité de regard lucide sans être submergé.

Cultiver l’énergie vitale et le témoin

Le yoga peut offrir un travail sur « notre énergie vitale », qui va « provoquer un regard plus positif sur la vie. » Travailler l’énergie, l’instinct de vie », permet de « susciter chez nos élèves de quoi les rendre vivants, de quoi prendre du recul. »

Le concept de « témoin » (drashta en sanskrit) est central : apprendre à observer objectivement, « ni positivement, ni négativement », voir « les choses comme elles sont. » Cette position de témoin permet le recul nécessaire sans tomber ni dans l’optimisme naïf ni dans le pessimisme paralysant.

L’enseignement vivant

Plusieurs participants partagent leur approche pédagogique : ne pas enseigner les textes (yoga sutras, Bhagavad Gita) de manière théorique ou dogmatique, mais les faire vivre dans des situations concrètes. Une enseignante explique : « Quand je le sens, quand je peux capter une réaction qui fait partie de la vie, […] alors ça peut être l’occasion de faire passer une réflexion du yoga, par exemple quand il fait beau un jour et qu’il pleut le lendemain, plutôt que de se plaindre, dire « c’est bien qu’il pleuve, essayer de faire comprendre que tout est à prendre. » Cette acceptation n’est pas résignation mais reconnaissance du cycle naturel, de l’impermanence, du fait que « tout est cycle. »

VI. Unité, conscience et science

Le filet d’Indra et l’interconnexion universelle

La discussion aborde le concept bouddhiste du « filet d’Indra » : un filet infini où chaque nœud est un joyau qui reflète tous les autres joyaux. Cette métaphore illustre l’interconnexion universelle : chacun voit l’autre et se voit à travers l’autre. « Quand on voit quelque chose de l’autre, c’est nous-mêmes aussi. C’est un reflet de nous-mêmes. »

Cette vision rejoint l’idée d’unité fondamentale : derrière la multiplicité des apparences, il y aurait une conscience unique, indivisible. « La conscience n’a pas de limite. Elle n’est pas séparée, elle n’est pas coupée. » Ce que nous percevons comme séparation serait une illusion créée par l’ego : « C’est l’ego qui croit que la conscience est limitée. »

La contribution scientifique : de l’énergie à la vie

L’un de nous, scientifique, apporte des données sur l’origine de la vie, la nature de l’énergie et de la matière, une vision où science et spiritualité convergent plutôt qu’elles ne s’opposent.

La vie émerge naturellement dès que les conditions sont réunies : Les molécules d’eau qui vibrent constamment grâce à l’énergie thermique permettent à d’autres molécules d’interagir pour créer des structures de plus en plus complexes. « La vie est extrêmement facile » et se retrouve potentiellement sur des milliards de planètes dans l’univers.

L’énergie elle-même provient de la fusion nucléaire dans les étoiles. Matière et énergie sont interchangeables (E=mc²) : on peut désagréger la matière pour libérer de l’énergie (bombe atomique), ou concentrer l’énergie pour créer de la matière. « Tout est énergie », dit-il, rejoignant ainsi les intuitions des philosophies orientales.

L’interdépendance au niveau microbiologique

Un exemple fascinant d’interdépendance est celui du microbiote. Nous vivons avec et grâce à nos bactéries – sur la peau, dans les intestins, partout. « On partage nos bactéries. […] Ces bactéries nous façonnent. On les façonne, elles nous façonnent. » Elles contrôlent de multiples fonctions essentielles, induisent certaines maladies, et nous les façonnons en retour par notre alimentation, notre stress.

Cette interdépendance s’étend à nos animaux domestiques (nous partageons une grande partie de notre microbiote avec eux) et au-delà : « Quand les chiens vont se rencontrer et qu’ils vont se renifler, ils vont échanger le microbiote entre eux. » Nous sommes donc liés biologiquement, constamment, dans un échange permanent de vie microscopique, comme les arbres évoqués ci-dessus.

La pollution moderne (pesticides, médicaments, plastiques dans le cerveau) restreint considérablement notre microbiote . Cette perte de diversité est bien illustrée par la grande richesse des microbiotes des peuples vivant loin de toute civilisation en Amazonie. Cette restriction représente une perte d’interconnexion biologique fondamentale.

Mahat et l’intelligence universelle

Les participants font le lien avec le concept de Mahat dans la philosophie du Samkhya : « l’architecte universel, l’intelligence universelle » qui fait que « le monde est comme il est, se maintient un certain temps tel qu’il est, tout en étant en évolution. »

Au niveau individuel, Mahat se manifeste comme Buddhi, notre intelligence personnelle (non pas l’intelligence scolaire, mais l’intelligence liée à l’essence, au Soi). Cette correspondance entre macrocosme et microcosme – « nous sommes un univers construit sur le même modèle de l’univers infiniment grand » – crée un pont entre la vision scientifique et la vision spirituelle.

Purusha, Prakriti et l’unité originelle

La discussion se poursuit sur le Samkhya classique, qui postule la dualité entre Purusha (conscience pure) et Prakriti (matière primordiale/énergie). Dans cette vision dualiste, les deux sont nécessaires l’un à l’autre, à égalité. Mais une autre lecture est possible : « Dans la vision unitaire, tout vient de Purusha. » La conscience serait première, créant la Prakriti. L’énergie serait « l’haleine de Dieu, le souffle de Dieu » selon les Vedas – cette idée se retrouvant dans d’autres traditions, y compris le christianisme (animus, le souffle). « L’énergie fait partie de Prakriti. Le sans-forme est le support pour que la matière puisse être. De la même manière que pour qu’il y ait du son, il faut qu’il y ait du silence, il faut qu’il y ait le sans-forme pour qu’il y ait les formes. »

Pas de frontière entre science et spirituel

Interrogé sur la frontière entre science et spirituel, notre scientifique présent répond sans hésitation : « Il n’y en a pas. Pour moi, il n’y en a pas. » Il explique que plus il approfondit la biologie moléculaire, plus il y voit de la poésie, du miracle : « Quand je voyais l’astuce des enzymes qui tournaient autour de l’ADN, je me disais, c’est pas possible ! C’est magique ! »

Pour lui, la complexité même du vivant, partant d’un nombre fini de briques élémentaires (92 éléments) pour créer une diversité infinie, témoigne d’une « présence au-dessus de nous », d’une dimension spirituelle inhérente à la réalité. La science, loin de dissoudre le mystère, le révèle et l’approfondit.

VII. Vivre l’unité au quotidien : actions concrètes et espoirs modestes

Les petites initiatives qui font sens

Face à l’immensité des défis, les participants partagent leurs actions concrètes, modestes mais porteuses de sens. Une participante intervient dans les écoles pour lire des contes aux enfants, leur apprendre à écouter, cultiver le lien intergénérationnel et le chant. D’autres s’engagent auprès des personnes âgées, combattant l’isolement croissant des aînés.

Un participant compare ces actions à « la route du colibri » – la fable du petit oiseau qui, face à l’incendie de la forêt, fait sa part en apportant quelques gouttes d’eau dans son bec. « C’est à notre petite échelle » qu’on peut agir, dans notre sphère d’influence immédiate.

L’éducation, au sens large, apparaît comme un levier essentiel. « Créer des étincelles » qui peuvent faire réfléchir, même quand on touche peu de personnes.

L’importance des échanges et de la parole

Le cercle de parole lui-même est présenté comme une forme d’action : se réunir, échanger, confronter les points de vue, « constamment remettre en cause, discuter. » Le cerveau humain a cette « profonde capacité » de changer de direction, de se remettre en question – mais pour cela, il faut des déclics, des discussions, des espaces de dialogue qui se raréfient. Tout devient plus normé, formaté. D’où l’importance de maintenir ces espaces de parole libre, même s’ils semblent dérisoires face aux forces systémiques.

Entre espoir et réalisme, le cycle de la vie

Les participants oscillent entre différentes postures face à l’avenir. Certains cultivent l’espoir à travers les jeunes générations : il existe des jeunes qui veulent « juste vivre en harmonie, prendre le temps. » Des festivals comme celui des Arts de la Paix à Genève réunissent des artistes autour de thèmes positifs, encourageant les cultures à se rencontrer.

La pratique du yoga elle-même, individuelle ou collective, offre des moments d’expérience de l’unité, de l’interdépendance, « même si c’est à petite échelle. » Ces expériences, aussi fugaces soient-elles, maintiennent vivante une autre manière d’être au monde.

D’autres adoptent une position plus radicale : éliminer l’espoir plutôt que de le cultiver. « Pour moi, c’est plutôt d’éliminer l’espoir. » Non pas par pessimisme, mais pour accéder à quelque chose comme la confiance, « me laisser porter par quoi qui arrive. » Se détacher du besoin que l’espèce humaine perdure : « Ça nous dépasse. » Cette dernière position rejoint une sagesse plus ancienne : tout est cycle. « Peut-être que c’est juste le cycle normal qui se fait. » Les espèces apparaissent et disparaissent. La vie continuera sous d’autres formes. L’important est de vivre pleinement notre existence présente, sans se projeter anxieusement dans un futur que nous ne contrôlons pas : « Accueillir ce qui est, vivre avec ce qui se présente, pour moi c’est du yoga pur. »

Conclusion : L’interdépendance comme fait et comme chemin

Au terme de ces riches échanges plusieurs lignes de force se dégagent :

L’interdépendance est d’abord un fait ontologique : nous sommes reliés, que nous le voulions ou non, au vivant, à la nature, aux autres humains, aux écosystèmes. Cette interdépendance s’exprime au niveau biologique (microbiote), écologique (cycles de l’eau, de l’air, de la vie), social et même cosmique. La science moderne, loin de la contredire, confirme et précise cette intuition des sagesses anciennes.

Mais la manière de vivre cette interdépendance diffère radicalement selon notre niveau de conscience, notre posture intérieure. Elle peut être vécue comme dépendance aliénante (aux technologies, aux systèmes de pouvoir, aux addictions diverses) ou comme participation consciente à un tout qui nous dépasse et nous enrichit.

La société contemporaine présente un paradoxe tragique : jamais nous n’avons été aussi techniquement interconnectés (internet, réseaux sociaux, communications instantanées) et pourtant jamais aussi coupés les uns des autres, de la nature, du réel. Cette pseudo-interconnexion technologique cache souvent une dépendance destructrice et une perte de l’interdépendance authentique.

Face aux menaces globales (effondrement de la biodiversité, crise climatique, pollutions massives), les réactions oscillent entre l’action déterminée à « notre petite échelle » et l’acceptation philosophique des cycles de la vie. Ces positions ne sont pas nécessairement contradictoires : on peut agir tout en acceptant que l’issue ultime nous échappe.

Le yoga et les pratiques spirituelles offrent non pas une fuite mais des outils pour cultiver une présence lucide, un regard de témoin qui voit sans être submergé, une énergie vitale qui permet de rester vivant même face aux catastrophes annoncées. Ils permettent aussi de faire l’expérience directe de l’unité, au-delà des concepts.

Science et spiritualité convergent vers une même vision : l’univers comme déploiement d’une énergie/conscience originelle, manifestée dans une diversité infinie de formes, toutes interconnectées, toutes interdépendantes. Les 120 atomes élémentaires et la conscience unique sont deux façons de pointer vers le même mystère.

Finalement, peut-être que la distinction entre interdépendance et interconnexion importe moins que la question : comment habitons-nous notre reliance au tout ? Avec peur ou confiance ? En résistance ou en acceptation ? En conscience ou en aveuglement ?

La réponse se trouve peut-être dans cette formule d’une participante : « La connaissance de soi passe par la relation aux autres. » C’est dans le rapport concret, incarné, quotidien aux autres – humains, non-humains, vivants, éléments – que se révèle et se vit l’unité. Non comme un concept à comprendre, mais comme une réalité à expérimenter, encore et encore, dans la pratique du yoga, dans l’attention portée au souffle, dans le regard levé vers les étoiles, dans la main tendue vers l’autre.

Merci à tous les participants pour ce beau moment partagé qui reflète une diversité de points de vue exprimés, sans prétendre à une vérité unique, mais plutôt en célébrant la richesse qui émerge d’une confrontation respectueuse des vérités de chacun. Un bel exemple d’interconnexion !