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La beauté, Krishnamurti
Traduit par Christine Chaput, professeure IFY, 14 mai 2024
Cet extrait d’une conférence de Krishnamurti datant de 1976 (disponible en Anglais sur youtube) vient interroger la beauté, la place du regard, de la mémoire. Comment le mental vient interférer avec la perception? D’où émane-t-elle?
La beauté nous montre t-elle le sacré, tout comme la compassion, la méditation, au delà du visible?
Yoga et flûte
Fabienne Biboud-Engler, professeure IFY, 10/3/2024
Fabienne Biboud a longtemps oeuvré au sein de notre association, notamment en réalisant de belles interviews publiées dans Regard.
Texte de Fabienne Biboud, professeure IFY, qui a longtemps oeuvré au sein de notre association, notamment en réalisant de belles interviews publiées dans Regard.
J’ai commencé à jouer de la flûte traversière à l’âge de 7 ans et j’ai longtemps entretenu une relation douloureuse avec cet instrument à vent, oscillant entre le désir de laisser tomber un apprentissage qui me paraissait trop difficile et la volonté de faire plaisir à mon père qui voulait que je sois flûtiste.
Dès le début j’ai donc assimilé la pratique musicale à une sorte de « sport de combat », à quelque chose d’intensément physique où la musique tenait finalement peu de place. Je me rêvais pianiste, débarrassée de la nécessité de fabriquer un son avec mon corps, alors qu’il suffisait d’appuyer sur une touche pour que…le la soit là !
Des années plus tard, à l’âge adulte, j’ai découvert le yoga, m’apercevant, par la même occasion, que je ne savais pas respirer.
Je me souviens des premières séances : allongée sur le tapis, j’apprenais ce qu’était la respiration consciente et complète. Je découvrais des parties de mon corps sclérosées, ignorées, qui soudainement se mettaient à vivre… une renaissance… une révélation !
La formation à l’enseignement du yoga, que j’ai suivie avec François et Josselyne Lorin, mettait en avant nos dispositions créatives. C’est à cette occasion que je me suis réconciliée avec le fait de jouer. Cela restait difficile, par moments, malgré tout.
Mais il y a dans le souffle un mystère que je ne cherchais pas à approfondir.
Paradoxalement, je n’ai pas immédiatement fait le lien entre le yoga et ma pratique de musicienne.
Et puis un jour… cela s’est fait, cela s’est installé, consciemment ; comment dire… une fluidité.
Moins de force, plus de débit.
Dans l’inspir et dans l’expir qui fait le son ; avec le souffle comme support. Comme chaleur. Comme ondulation.
Une toile de parapente gonflée dans le ciel. Je jouais comme si je volais.
Il y a quelque chose d’extrêmement joyeux et vivant dans le fait de passer de l’effort au plaisir. En transformant mon rapport au souffle, le yoga a transformé mon rapport à la musique.
La poésie du yoga. Josselyne et François Lorin.
Introduit par Didier Zadwadzki
En 1994, lorsque TKV Desikachar rencontra le poète Khaled Daouk, il lui fit cette réflexion:
« Les pratiquants en yoga s’ouvrent à une autre dimension au sein de leur corps, de leur souffle et de leur esprit. Par la poésie, votre chemin qui y conduit est direct »Les Cahiers de Présence d’esprit – TKV Desikachar – Une histoire de transmission
Nous vous proposons quelques extraits d’un article, beau et passionnant écrit à quatre mains par Josselyne et François Lorin, dont vous pouvez lire l’intégralité, soit en fin de cette introduction, soit en cliquant sur le lien attaché de cet article Poésie et Yoga, ou dans le Journal de l’IFY (www.ify.fr ).
Nous vous souhaitons de goûter toute la poésie qui s’en dégage.
Extraits
Josselyne
Je est un autre.
C’est faux de dire: Je pense. On devrait dire : On me pense. Pardon du jeu de mots. Je est un autre. Rimbaud, lettre dite du « Voyant », adressée à son professeur Georges Izambarden 1871
Que l’on éprouve le besoin d’analyser un poème peut venir après coup, mais il est secondaire au regard de la première atteinte, celle de l’âme. Nombreux sont celles et ceux que la poésie a laissés indifférents, voire ennuyés.
Une anecdote : une professeur de lettre à l’université, on lui avait appris ma « passion » pour Rimbaud, enfin, pour sa poésie ; « je n’ai jamais compris la poésie de Rimbaud » me dit-elle, « on ne la comprend pas on la goûte » répliquai-je.
« La poésie est une clameur.
Elle doit être entendu ecomme la musique
Toute poésie destinée à n’être que lue
et enfermée dans sa typographie n’est pas finie
Elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale
Tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche »Léo Ferré: Il n’y a plus rien. Monologue
François
L’intelligence est sensibilité.
Le poète, parfois considéré comme « fou » par les humains qui se pensent « normaux » (normés de fait), sait ressentir ce que nous ne savons plus reconnaître, même si la pratique du yoga parfois nous y donne accès.
«Respecte dans la bête un esprit agissant:
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose;
Un mystère d’amour dans le métal repose;
« Tout est sensible! » Et tout sur notre être est puissant… »Gérard de Nerval, Les Chimères, page 25, éd. Mille et une nuits.
L’acte est poème.
Les postures sont de la chair vivante et vibrante et non des appuis ou des directions, des muscles ou des articulations. La gymnastique de l’Occident interprète le méditatif âsana en postures corporelles à maîtriser plutôt que comme entrée dans l’ineffable, l’immatériel, le sacré!
« Divin je suis au dedans et au dehors, et je sanctifie tout ce que je touche ou qui m’etouche.
La senteur de mes aisselles m’est arôme plus exquis que la prière,
Cette tête m’est plus qu’église et bibles et credos… »Walt Whitman. Poèmes page 11 éd. nrf Gallimard
Le yoga et la poésie se complètent, s’interpénètrent et se nourrissent mutuellement, que les poètes soient séculiers ou mystiques.
« Lève toi, Ô jour
Que les atomes entrent dans la danse!
Afin que d ejoie
Sans pieds ni tête, les âmes entrent dans la danse
Celui pourl ’amour de qui
Danse le firmament
Je te dirai à l’oreille
Où est le lieu de sa danse. »Rûmî. La religion de l’amour, page 53, éd. Sagesses chez Points
Nous vous recommandons chaudement la lecture de l’article complet Poésie et Yoga
Le jeu du Souffle et de la flûte
Eleanor Dawson (www.rasayogasound.com), 1/2/2024
Retrouver l’innocence, c’est s’ouvrir vers le plus profond : le souffle et la flûte qui jouent en liberté, à partir d’un support de plus en plus enraciné, une musique qui peut toucher partout.
Eleanor est musicienne de talent et professeur de yoga. Anglaise, elle vit et travaille en Irlande, et vient souvent en France.
J’ai eu de la chance. Depuis l’âge de cinq ans j’ai joué de la flûte et, même si ce n’était pas conscient en moi, j’ai été en un contact direct avec l’essentiel en moi. Comme petite fille, jouer de la flûte était une mise en jeu du corps, souffle, esprit et la vibration du son. Instinctivement je me suis penchée vers la sensation de bien-être expérimentée en jouant ; j’y ai trouvé une joie profonde et j’étais consciente que le jeu du souffle et de la flûte exprimait une magie spéciale hors mots. Sans le savoir, en jouant, j’ai vécu en yoga.
Plus tard, flûtiste professionnelle et enseignante, j’ai travaillé de plus en plus consciemment avec le souffle pour cultiver une technique précise et pour « jardiner » des phrases musicales. Je savais « maîtriser » mais il m’était de plus en plus difficile d’accéder à la relation innocente de mon enfance : les études strictes de l’enseignement de musique classique avaient créé des nœuds au niveau du mental qui devenaient barrière à la liberté ressentie comme jeune fille.
La pratique du yoga m’a conduite à une connaissance plus subtile du souffle, qui ne correspondait pas à cette maîtrise acquise de flûtiste professionnelle. J’ai alors commencé un processus de lâcher prise – sans perdre le support des techniques nécessaires – pour donner l’espace à une liberté du son.
Peter Hersnack m’a aidée à trouver ces nouveaux supports pour faire émerger cette relation innocente dans un espace donné par le recul. J’ai contacté une source intérieure pour une nouvelle musique spontanée, improvisée, « inspirée » par cette source.
Le yoga enseigne par une pratique de « toucher » et « être touché » à négocier la relation entre deux espaces : l’intérieur privé, notre jardin secret, le locus pour notre vie personnelle ; l’extérieur, l’espace où nous « pratiquons » un partage avec le monde, un espace souvent expérimenté comme espace de peur, voire de menace. Comment se défaire du personnage d’artiste de spectacle qui implique cette relation toxique ?
Le souffle est un « entre deux », entre ces espaces intérieur et extérieur. Le yoga nous enseigne à vivre cette relation délicate, en créant la possibilité pour Prāna, le souffle de vie, de circuler librement. Une expiration profonde peut dénouer les blocages ; une inspiration sans stress peut devenir un support libre pour le son.
La musique offre une proximité à l’essentiel en nous par l’écoute. Ecouter et articuler sans ajouter plus que vraiment nécessaire ouvre une communication libre sans peur.
« L’instrument » du corps humain joue avec « l’instrument flûte », les deux ensemble avec le souffle comme lien entre l’essentiel et le monde. Le souffle donne vie à la vibration : manifestation de la vie en nous et en toute création.
Le matériel de la flûte – en bois ou en argent – donne des possibilités de « sculpter » le timbre du son avec le souffle pour une palette de sons riche et diverse.
Il faut un support profond pour une communication claire, un support du souffle au niveau du plancher pelvien qui invite le diaphragme à danser librement sans écraser le souffle qui vibre à l’extérieur.
La flûte traversière permet de sentir le « toucher-être touché » du souffle au niveau des lèvres. C’est une relation vivante, avec de continuels changements d’intensité nécessaire pour produire des notes différentes, des nuances de volume et de sonorité. Jouer devient très tactile, vivant à tous niveaux.
La langue joue avec la palette pour une articulation précise, : la « percussion » de l’articulation toujours en relation libre avec le passage du souffle. Langue, palette et souffle comme « trio–support » pour la danse du son.
Retrouver l’innocence, c’est s’ouvrir vers le plus profond : le souffle et la flûte qui jouent en liberté, à partir d’un support de plus en plus enraciné, une musique qui peut toucher partout.
Mosaïque par Françoise Klein
« L’essence de l’art n’existe pas. Je crois à l’artisticité plus qu’à l’art et j’en vois partout… »
« Ce que l’artiste aime d’abord, ce qui l’inspire, ce sont les matériaux: que ce soit du marbre, des mots, le silence, son propre corps… »Bernard Sève « Les matériaux de l’art », édition du Seuil
Tout d’abord ouvrir grand les yeux sur le monde… je marche et je regarde…par terre ! En randonnée, pierres qui brillent au soleil ou rincées par la pluie, que je recherche de la bonne épaisseur, de la bonne taille, et je trouve aussi coquilles d’escargots, écorces, faïences, que pourrais-je donc en faire ? Sur la plage c’est l’embarras du choix, galets polis par la mer, tout ronds, blancs translucides ou plats d’un noir profond, ou mélange de multiples couleurs, coquillages, morceaux de verre que l’océan a rendu tout doux et que je ressens si précieux dans le creux de ma main. Mon sac s’alourdit, je me sens riche à l’intérieur d’une créativité qui se cherche.
Et toutes ces matières nées du savoir-faire humain : carrelages brillants de toutes les couleurs, grès mat. Et la richesse infinie du verre ! Le reflet du miroir, l’éclat des perles, la transparence des billes…
Et cette vaisselle qu’il suffit de casser pour se retrouver à la tête d’une multitude de fragments, supports à l’imagination ! A la maison, les étagères accueillent ces merveilles dans des boites transparentes, bocaux… Cela pourrait presque suffire !
Ces matériaux offerts par la nature, ramassés au détour d’un chemin, sur le sable, ces matériaux que le génie humain a su transformer en objets chatoyants, j’ai envie de les « honorer ». De les assembler, de les faire dialoguer, de créer à partir d’eux un nouveau sens qui m’est propre. Déconstruire pour reconstruire autrement, séparer pour assembler à nouveau, selon ma vision.
C’est cela la mosaïque ! Partir de ce qui est dispersé, morcelé, fractionné, partir du multiple, sensible à l’infinie variété du monde, à la beauté de chaque petite parcelle, et recomposer un motif, assembler couleurs et textures, faire se répondre le mat et le brillant, jouer des formes et des alignements…retrouver une unité. Ce que j’aime dans la mosaïque, c’est partir du réel, de ce qui est là, de ce qui m’est donné. Toucher et être touchée.
Mais ce que je recherche avant tout, c’est la lumière. La lumière réfléchie par la mosaïque. C’est pourquoi la mosaïque ne supporte pas la photo. La photo lui fait perdre son éclat.
Je la regarde sans me lasser, au fil des heures et de l’éclairage elle se transforme, elle reflète autrement. Je me promène dans la pièce car elle n’aime pas trop qu’on la fixe de face ! Elle préfère le regard de biais, un peu rasant.
Ce que je vois n’existe que pour moi, pendant l’instant et selon l’endroit d’où je contemple. La mosaïque est changeante comme la vie ; elle ne peut être figée. Elle n’offre pas une image unique mais des points de vue toujours nouveaux. Mon regard s’y perd, le temps s’arrête.
La peinture de Bernard Jacques Brisson. Didier Zawadzki
Un tableau d’un ami peintre (Bernard Jacques Brisson), peut me provoquer cette émotion: un choc d’abord qui va directement au plus profond de moi, puis le voyage commence, j’erre dans le tableau et découvre des secrets enfouis au plus profond de mes mémoires et conditionnements. Ils n’appartiennent qu’à moi.
“La peinture est devenue pour moi un moyen de transposer de manière picturale notre mystère incarné. Elle m’offre une liberté immense. Par la couleur et le geste, je transmets un sentiment, une sensation, une émotion. Chacune de mes toiles peut résonner à l’infini. Et chacune d’elles reprend sa liberté à la dernière touche. Elle ne m’appartient plus. Elle devient l’histoire de tous, s’il sait regarder. C’est une aventure spirituelle. Ce que je souhaire offrir ici, c’est une résonance.”
Bernard Jacques Brisson
Pourquoi une rubrique Yoga et arts? Didier Zawadzki
YOGA CITTA VRITTI NIRODHA
« Le yoga est l’arrêt des tourbillons incessants de la conscience ordinaire »
On peut ainsi traduire le deuxième aphorisme des « Yoga Sutras » de Patanjali, texte fondateur écrit il y a quelques milliers d’années.
NIRODHA est l’étape ultime, l’état de yoga, l’état où la faculté psychique est capable de s’arrêter. C’est un état intérieur de totale tranquillité, de silence, et de félicité. Toutes les couches superficielles se taisent, la source située au plus profond de chaque être peut s’exprimer.
Une création artistique (peinture, dessin, musique, sculpture, …) s’adresse à cette source profonde. Elle provoque un choc émotionnel nous rapprochant d’un état de yoga. Le temps est comme suspendu, rien d’autre n’existe que l’émotion qui nous envahit. Nos carapaces physiques, intellectuelles, émotionnelles sont traversées, nous entrons dans un état intérieur de tranquillité et de silence.
Le voyage peut alors commencer, le regard et l’esprit dérivent, les émotions, les secrets, les souvenirs, les formes s’invitent, elles n’appartiennent qu’à nous. Par nature c’est le même phénomène que lorsque nous laissons notre esprit dériver au gré des nuages et du vent.
Mais nous sommes ainsi faits que plus ou moins rapidement, l’intellect reprend le dessus. On s’éloigne, on se rapproche, on change de point de vue, on cherche à comprendre, à saisir ce qui nous a saisi.
Pourquoi ce choc est-il provoqué par un tableau plutôt qu’un autre, je n’en ai aucune idée.
N’est ce pas la quintessence et le grand mystère de l’Art?
Les images, les sons, les vibrations, les odeurs, les saveurs, le toucher, les sensations captées par l’ensemble de notre système sensoriel, plus ou moins sensible à tel ou tel sens, peuvent provoquer un choc émotionnel profond, et « arrêter les tourbillons incessants de la conscience ordinaire ».
C’est ce qui nous donne envie d’ouvrir une rubrique « Yoga et arts ».