A l’origine du chant védique, les Veda, Christine Chaput

Veda signifie connaissance, non la connaissance intellectuelle, rationnelle, mais la connaissance révélée, absolue, divine, aussi science sacrée.

Christine Chaput

« Mes débuts en chant védique datent d’avant les années 2000, avec Martyn Neal, lors d’un stage de yoga.

Martyn, musicien dans l’âme entre autres, a étudié le chant védique avec TKV Desikachar, et le transmet agrémenté de chants d’autres traditions.

L’acquisition du livre Mantra Mala du KYM (Krishnamacharya Yoga Mandiram, compilation de mantras, a été le support d’une découverte plus approfondie des mantras. Et j’ai pu commencer ces chants avec les CD et le livret du recueil « An introduction to vedic chanting » de Martyn Neal et Desikachar.

C’est lors de mes séjours en Inde, depuis 2005, dans des ashrams, que la tradition de ce chant est devenue plus vivante pour moi, même si ma connaissance en reste superficielle, vue l’étendue de la pratique comme cet article l’aborde.

En effet à l’ashram de Chandra Swami (voir l’article afférent), celui-ci était silencieux, mais il chantait!

Toutes les cérémonies au feu, yajna, au Gange… sont chantées, et petit à petit j’ai commencé à chanter quelques mantras, qui sont aussi chantés au début des repas, au début et à la fin des cours de yoga…

Maintenant Youtube est devenu le support incontournable! »

La tradition orale du chant védique a été déclarée patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2008.

On ne peut se pencher sur le chant védique sans poser quelques bases succinctes sur leur contenu, les veda.

A propos des veda

Les veda ne sont connus en occident que depuis une centaine d’années, avec l’étude du sanskrit, la langue sacrée de leur transmission, et les premières traductions en anglais et en français, au milieu du XIX siècle.

Veda signifie connaissance, non la connaissance intellectuelle, rationnelle, mais la connaissance révélée, absolue, divine, aussi science sacrée.

Les veda constituent la plus ancienne strate de littérature sanskrite, transmise en sanskrit védique (archaïque), et sont les plus anciens supports de l’Hindouisme, mais aussi une des plus anciennes littératures humaines et la plus volumineuse.

Les origines et le contexte

Les veda, hymnes issus du peuple des Aryas (peuples indo-iraniens qui partageaient religion, culture et langues), auxquels l’occident est lié par la famille des langues indo-européennes, et corroboré récemment par la génétique 1, se sont constitués au deuxième millénaire avant J.C.

La région du nord-ouest de l’Inde, autour de la vallée de l’Indus, s’étendant jusque vers l’Afghanistan actuel en a été la matrice première, le dernier veda ayant été élaboré plus à l’est, entre la rivière Saraswati (disparue) et le Gange. Antérieure était donc l’élaboration de la langue sanskrite primitive, vers le milieu de l’âge du bronze.

Un millénaire plus tard, celle-ci s’est transformée en sanskrit classique, langue dite parfaite., sous l’influence du grammairien Panini.

Les veda comportent aussi des mots d’influence de l’Inde du nord-est comme l’Assam et de l’est asiatique, ainsi que des influences dravidiennes (sud de l’Inde) 2.

Vyasa

Il est dit que c’est le sage Vyasa, un des 7 rishi, qui a compilé les veda et a séparé le veda ancien unique en 4 parties. Chaque partie fut alors attribuée à un disciple, et chacun le transmit à une lignée de brahmanes ; ceci assura le partage de l’immensité de ce savoir et évita la perte d’informations. Pourtant Vyasa semble être plutôt un ensemble de personnages ayant vécu sur une époque d’un millénaire.

Il est aussi dit que Vyasa est l’auteur du Mahabharata, plus longue épopée connue, dont le cœur est la célèbre Bhagavad gîta. Celui-ci l’aurait écrit pour les femmes et les basses castes, alors privées d’enseignement spirituel.

Cependant, malgré la remarquable érudition élaborée pour sa transmission orale impeccable et inaltérable, de nombreuses parties ont été perdues à travers le temps, dû à la diminution de l’intelligence de l’espèce humaine, le déclin de la force de sa santé et sa foi, est-il dit.

La révélation des veda

Les 4 veda sont des textes révélés, entendus, sruti, en hymnes et poétiques, la plupart en vers, certaines parties en prose. Un cinquième veda, est reconnu par certains érudits, comprenant par exemple le Mahabharata, ou des textes non-sanskrits, comme le Tamil veda nommé aussi Dravida veda, considérés comme plus appropriés à l’ère actuelle du Kali Yuga 3.

Les rishi

La tradition parle des sept rishi (saptaṛṣi), sages, qui ont ‘entendu-reçu’ cette connaissance par intuition. Mais les veda listent environ 400 ‘voyants’, dont 27 femmes.

Pour la petite histoire, chaque famille indienne est liée à un de ces 7 rishi ! Et les noms de ces rishi sont aussi ceux de 7 étoiles de la grande ourse.

Les connaissances

Les veda comportent 2 sortes de connaissances, para vidhya, connaissance spirituelle, et apara vidhya, la connaissance du monde. De nombreux chants, écrits dans une extrême concision, ont plusieurs niveaux de compréhension du commun au symbolique. C’est pourquoi à différentes époques, de nombreux commentateurs se sont attelés à cette immense tâche de révélation du sens de ces profondes vérités.

Leur partition

Les veda sont au nombre de 4, le rigveda, le samaveda, le yajurveda, et l’atharvaveda, même si le 4ème a été associé plus tard à la triade sacrée qui l’a précédée, trayi.

Chaque veda est constitué de 4 catégories, samhita, brahmana, aranyaka et upanishad 4, à l’exception du dernier veda qui ne contient pas d’aranyaka.

Chaque veda comporte aussi une partie ‘appliquée’, un upaveda. Ainsi l’ayurveda (de la médecine à la chirurgie) est associée au rigveda, le dhanurveda (techniques d’archerie et stratégies militaires) à l’yajurveda, le gandharva (règles de chant, de musique et de danse)est contenu dans le samaveda, enfin les techniques économiques et agricoles, arthashestra sont dans le 4ème veda, l’atharvaveda.

La compréhension des veda est aussi soutenue par un corpus d’appendices, des membres, anga, destinés à soutenir leur préservation, au nombre de 6, les vedanga.

Ces vedanga se scindent en : shiksha, la phonétique et phonologie, chanda, la prosodie et la métrique, vyakarana, la grammaire, nirukta, l’étymologie, jyotish, l’astrologie et l’astronomie, kalpa, le rituel.

Les veda offrent un véritable panorama historique de l’hindouisme et éclairent les origines de plusieurs concepts artistiques, scientifiques et philosophiques et mathématique (jusqu’au concept originel du zéro et son utilisation en tant qu’opérateur).

Seul le rigveda sera abordé ici.

Le rigveda

Ce premier veda est le plus ancien et le plus volumineux, dont la samhita, à elle seule,comporte environ 10 552 mantra, classés en 10 livres, mandala, et 1 028 sukta, ensemble de mantra. Il est dit que sa récitation entière prend 2 années !

Les hymnes du rigveda présentes de notables similitudes linguistiques avec des poèmes archaïques des familles de langues iraniennes et grecques, comme celles de l’Illiade.

Ces hymnes du rigveda ont été chantés dans le Saptasindhou, le pays des sept rivières de la vallée de l’Indus, qui y sont mentionnées, alors que le dernier veda fait référence beaucoup plus à l’est, à la basse vallée du Gange.

De nombreuses parties du rigveda sont aussi reprises dans les veda suivants, ce qui en fait sa place unique en tant que racine de connaissance. Certains passages sont toujours en vigueur dans des rituels de passage comme les mariages par exemple, le plaçant comme le texte religieux en usage continu le plus ancien.

Ceveda antique chante dans une grande sincérité et simplicité la sagesse humaine d’alors, liée profondément à la nature et ses éléments. Les louanges des éleveurs et des premiers agriculteurs s’adressent en tout premier au feu, agni, puis respectivement à l’espace et ses pluies, indra, au soleil, surya, à l’espace, varuna, les merveilles de la terre seront pour prisni, le vent terrible sera rudra. De nombreux vers sont aussi consacrés à soma, la boisson d’immortalité. Mais ces éléments ne sont envisagés que comme des attributs symboliques du Seigneur suprême, Brahman.

Les autels sont dans la nature, les temples et palais n’existent pas.

Les chants poétiques sont transmis déjà avec rigueur dans la continuité de la famille. Les rituels s’installent au lever, midi et coucher du soleil. Les sacrifices se multiplient, depuis celui adressé au feu, toujours abondamment pratiqué, yajna, jusqu’au sacrifice du cheval, signe d’une période prospère. La cosmologie, les prières et les rites sont le cœur de la partie la plus importante, la samhita, collection.

La division en castes n’existait pas à cette époque, mais lentement s’élaborera le pouvoir du brahmanisme, mêlant religion et politique. Les femmes dans le rigveda apparaissent en nombre dans les dialogues des hymnes. Puis lentement, avec l’extension des castes, la pratique des chants sera progressivement réservée aux 3 castes supérieures, puis les femmes et la caste inférieure en seront écartées.

De nombreux mantra appartiennent au rigveda, comme la gayatri mantra en 3 vers octosyllabiques par exemple, un des plus récités.

La préservation des veda, vedapatha : le chant védique

La précision et le soin avec lequel ces corpus de textes ont été transmis inchangés sur une période aussi longue est absolument unique et suscite l’admiration. Les systèmes extraordinairement complexes de préservation par le chant prouvent la vision des rishi de l’importance de ce contenu et la perspective sur des millénaires. Il est dit des veda qu’ils sont éternels.

Ce système est établi sur la puissance du son qui traverse tous les veda, depuis le son primordial de l’Univers, noté Om, ॐ ou A.U.M (par ailleurs proche de Amen chez les chrétiens et Âmîne chez les musulmans) à la précision de l’articulation de chaque lettre sanskrite, 54, et une cinquantaine de phonèmes.

L’étude du sanskrit est concomitante à l’apprentissage du chant dès l’enfance, chez les brahmanes destinés à être les porteurs de cette transmission.

Les tons

La préservation se fait d’abord depuis le lettre-à-lettre. Pour que le son de chaque mot demeure intact, les praticiens apprennent dès l’enfance des techniques complexes de récitation fondées sur l’accent tonal, une manière unique de prononcer chaque syllabe et des combinaisons spécifiques de discours.

L’accent tonal se porte sur chaque voyelle et se décline en 4 catégories de hauteur, swara notée ainsi pour la lettre « a » par exemple : moyenne  sans marque ; basse अ॒ avec trait horizontal dessous ; haute अ॑ avec trait vertical au-dessus ; et haute étendue आ᳚ avec 2 traits verticaux au-dessus.

Les 9 combinaisons d’entremêlement des mots : les patha

Les patha sont des méthodes mnémotechniques qui poussent à l’extrême la complexité de récitation afin de permettre la fidélité mémorielle aux textes d’origine, par recoupement, et avec une grande rigueur. Cette élaboration admirable a permis à ces textes de traverser les millénaires.

Pada-patha : Première étape de l’apprentissage de base de la forme originale, elle ne comporte pas d’entremêlement ; ceci supprime les liaisons entre mots afin d’éviter toute confusion ;

Une récitation mot à mot avec une pause après chaque mot ou après chaque code grammatical.

Krama-patha : une récitation étape par étape où les mots sont appairés ainsi :

« mot1 mot2 mot3 mot4 … », sera récité : « mot1mot2 mot2mot3 mot3mot4, aussi noté :

 1 2 2 3 3 4

Exemple avec un mantra de 9 mots pour les 8 patha suivants qui comprennent 9 lignes de combinaison, de complexification progressive :

Jata-pāṭha:mālā pāṭha:śikhā pāṭha:rekhā pāṭha: (en forme de cloche sur les 9 lignes)dhvaja pāṭha:
1 2 2 1 1 2 ~ 2 3 3 2 2 3 ~ 3 4 4 3 3 4 ~ 4 5 5 4 4 5 ~ 5 6 6 5 5 6 ~ 6 7 7 6 6 7 ~ 7 8 8 7 7 8 ~ 8 9 9 8 8 9 ~ 9 _ _ 9 9 _ ~1 2 ~ 2 1 ~ 1 2 ~ 2 3 ~ 3 2 ~ 2 3 ~ 3 4 ~ 4 3 ~ 3 4 ~ 4 5 ~ 5 4 ~ 4 5 ~ 5 6 ~ 6 5 ~ 5 6 ~ 6 7 ~ 7 6 ~ 6 7 ~ 7 8 ~ 8 7 ~ 7 8 ~ 8 9 ~ 9 8 ~ 8 9 ~ 9 _ ~ _ 9 ~ 9 _ ~1 2 ~ 2 1 ~ 1 2 3 ~ 2 3 ~ 3 2 ~ 2 3 4 ~ 3 4 ~ 4 3 ~ 3 4 5 ~ 4 5 ~ 5 4 ~ 4 5 6 ~ 5 6 ~ 6 5 ~ 5 6 7 ~ 6 7 ~ 7 6 ~ 6 7 8 ~ 7 8 ~ 8 7 ~ 7 8 9 ~ 8 9 ~ 9 8 ~ 8 9 _ ~ 9 _ ~ _ 9 ~ 9 _ _ ~1 2 ~ 2 1 ~ 1 2 ~ 2 3 4 ~ 4 3 2 ~ 2 3 ~ 3 4 5 6 ~ 6 5 4 3 ~ 3 4 ~ 4 5 6 7 8 ~ 8 7 6 5 4 ~ 4 5 ~ 5 6 7 8 9 ~ 9 8 7 6 5 ~ 5 6 ~ 6 7 8 9 ~ 9 8 7 6 ~ 6 7 ~ 7 8 9 ~ 9 8 7 ~ 7 8 ~ 8 9 ~ 9 8 ~ 8 9 ~ 9 ~ 9 ~ 9 _ ~1 2 ~ 8 9 ~ 2 3 ~ 7 8 ~ 3 4 ~ 6 7 ~ 4 5 ~ 5 6 ~ 5 6 ~ 4 5 ~ 6 7 ~ 3 4 ~ 7 8 ~ 2 3 ~ 8 9 ~ 1 2 ~ 9 _ ~ _ 1 ~

Pour les 3 derniers patha, encore plus complexes, voici juste un aperçu du début de la suite de combinaison

daṇḍa pāṭha:1 2 ~ 2 1 ~ 1 2 ~ 2 3 ~ 3 2 1 ~ 1 2 ~ 2 3 ~ 3 4 ~ 4 3 2 1 ~ 1 2 ~
ratha pāṭha:1 2 ~ 5 6 ~ 2 1 ~ 6 5 ~ 1 2 ~ 5 6 ~ 2 3 ~ 6 7 ~ 3 2 1 ~ 7 6 5 ~ 1 2 ~ 5 6 ~ 2 3 ~ 6 7 ~
ghana pāṭha:1 2 2 1 1 2 3 3 2 1 1 2 3 ~ 2 3 3 2 2 3 4 4 3 2 2 3 4 ~

Jata-pāṭha, dhvaja-pāṭhaetghana-pāṭhasont des méthodes et des transmissions orales qui se sont développées après le Vème siècle avant J.-C., après l’avènement du Bouddhisme et du Jaïnisme.

Une autre méthode supplémentaire est la récitation du texte du dernier mot au premier mot !

Les Indiens sont de grands mathématiciens, voilà de belles suites mathématiques5.

Exemple de texte du chant ganapati mantra, suivi d’un audio chanté par TKV Desikachar et sa femme Mekhala, durée 9mn6

Le chant à Ganapati, fils de Shiva, est propice avant d’entreprendre toute activité car il a le pouvoir d’enlever les obstacles; extraits de la taittirya samhita (2.3.14.53).

Le texte du ganapati mantra expose 3 patha : samhita patha, krama patha et jata patha. Ils sontproposés dans le livret ‘Introduction to vedic chanting’, 1994, chanté par TKV Desikachar et Martyn Neal, édité par la Viniyoga Revue au profit du KYM, à Chennai (Madras), Inde

Pourtant, la préservation de ce système millénaire et érudit est en danger.

Sous la présence de l’écrit et des nouvelles technologies, de l’accélération de la vie et du changement des priorités, la transmission orale est en danger partout dans le monde.

Bien que les veda continuent de jouer un rôle important dans la vie des Indiens, seuls treize des plus de mille branches védiques qui existaient jadis ont survécu. Quatre écoles védiques réputées – Maharashtra (dans le centre de l’Inde), Kerala et Karnataka (dans le sud) et Orissa (dans l’est) – sont en outre considérées comme menacées d’une disparition imminente (source UNESCO).

La suite de l’article le mois prochain.

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Migrations_indo-iraniennes

2 https://en.wikipedia.org/wiki/Rigveda

3 Yuga : période temporelle. L’univers est considéré comme cyclique, avec les étapes de création, préservation et destruction ; il existe 4 yuga qui vont du Satya Yuga (âge de la vérité ou âge d’or ou Krita Yuga), Treta Yuga (âge d’argent), Dvapara Yuga (âge de bronze) au Kali Yuga (âge de la noirceur, du vice et la misère, âge dans lequel nous sommes).

4 Les 4 parties des veda :

Samhita : collection de mantras et bénédictions, leurs prescriptions de chant, ainsi que des questions philosophiques

Brahmana : les commentaires liturgiques de rituels, cérémonies et sacrifices

Aranyaka : signifie en relation avec la forêt ; la section théologique, rituels, cérémonies et sacrifices réels et symboliques et leur sens allégorique

Upanishad (les parties les plus connues et traduites) : discussions de méditation, philosophie et spiritualité, comme la nature de la réalité, les buts de la vie… Les deux aspects principaux en sont le Brahman (l’essence intérieure du monde ou esprit universel) et l’âme, le soi permanent.

5 https://en.wikipedia.org/wiki/Vedic_chant

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