A la rencontre d’Alexandra David-Neel. Une femme d’exception (1868-1969)

Alexandra David-Neel, « la plus grande exploratrice du XX° siècle est une femme » et elle est française et il possible d’aller la rencontrer ou du moins d’aller sur ces traces, tout simplement à Digne les Bains (département des Alpes de Haute Provence) !
Par Lucile Jouvenel

Comme le dit si bien la 4ème de couverture de la bande dessinée “Une vie avec Alexandra David-Neel”, « la plus grande exploratrice du XX° siècle est une femme » et elle est française et il possible d’aller la rencontrer ou du moins d’aller sur ses traces, tout simplement à Digne les Bains (département des Alpes de Haute Provence) !

Elle nommait cette région son petit Tibet, elle, la 1ère européenne à avoir pénétrer et vécu au Tibet, et l’a choisi sur les conseils d’une agence immobilière de Marseille en raison de sa localisation aux confluents de réseaux de transport vers Nice et Marseille.

Alexandra David Néel s’y installe à 60 ans alors qu’elle est de retour d’un voyage en Asie de 14 ans (contre 18 mois prévu initialement) avec son guide tibétain Yongden qui deviendra son fils adoptif.

Son récit ” Voyage d’une parisienne à Lhassa ” l’a rendue célèbre. Ici : la 1ère édition :

Sa maison est maintenant en entrée de ville, les 15000 m2 de jardins initiaux ayant été acquis sciemment dans l’objectif de vendre des parcelles en cas de besoin pour financer ses voyages.

Tout comme la renommée de son ancienne propriétaire, la maison est discrètement indiquée. On y accède par un portail blanc comme on entrerait dans n’importe quelle maison. Le jardin pourtant happe très vite le long des escaliers qui guident le visiteur. Vient l’impression de rendre visite à une grande tante dans une atmosphère accueillante et bienveillante générée par les arbres, les fleurs, la tranquillité et la fraîcheur du site.

Le jardin dont il prenait soin, porte le nom de son fils adoptif décédé en 1955.

Les escaliers mènent à l’accueil du lieu qu’elle a légué à la Ville de Digne les Bains puis au musée dont il acquiert le statut en 2016.

Le musée parait petit mais il tire ses ressources de cette personnalité hors norme en plongeant le visiteur dans sa vie incroyable.

A mes yeux tout paraît extraordinaire dans cette existence qui se déroule au fil de mes pas :

  • une soif d’aventure et d’expériences d’ascèses dès son enfance,
  • un attrait précoce pour la spiritualité,
  • la rencontre de Grands de ce monde : Victor Hugo, Élisée Reclus, Annie Besant, Rabindranath Tagore, Gandhi, Aurobindo, le 13ème Dalaï lama, ….
  • une ténacité à l’apprentissage et la compréhension des sciences orientales,
  • une carrière de cantatrice,
  • un engagement féministe, anarchiste,
  • une aventurière téméraire,
  • et enfin, bien sûr une exploratrice intérieure.

Rappelons qu’à cette époque, les femmes ne sont pas indépendantes…

Puis vient la visite de la maison. Alexandra David Neel devient architecte et s’adonne à l’extension et la mise en œuvre de sa maison qu’elle appelle « Samten Dzong » (forteresse de la méditation).

Lorsque la porte s’ouvre, on pénètre dans un autre monde (les photos sont interdites), et malgré la fréquence actuelle des représentations orientalistes, je suis touchée par ce décor qui tranche avec l’extérieur de la maison totalement insérée dans le paysage local. Le ton est donné, la mise en scène opère comme l’a conçue Alexandra lorsqu’elle recevait les journalistes. Dans ce vestibule, deux grandes calligraphies chinoises qui lui rendent hommage « la connaissance s’écoute jusqu’en Europe » et « la recherche de la philosophie a engendré une femme héros ».

L’espace de la maison est assez étroit, les visites se font en groupe restreint gardant ainsi l’intimité d’un lieu. Et si ce n’est plus la maîtresse de maison qui orchestre ni sa dernière dame de compagnie (Marie Madeleine Peyronnet), la reconstitution des pièces m’invite à penser être attendue pour un thé.

Juste avant sa mort à 101 ans, Alexandra David Néel, venait de refaire son passeport portée par cet élan du voyage alors même que ses jambes ne la tenaient plus.

Qu’est-ce qui maintient finalement sinon l’idée d’être en mouvement….

Pour sa nécrologie, quelques photos de ses périples et une interview par Alexandre Desjardins dont une partie est reprise dans le film proposé en fin d’article.

Brève chronologie :

24 octobre 1868 naît à Saint-Mandé (à côté de Paris).

1888 à 20 ans, obtient un premier rôle de soprano

1893  à 25 ans, rencontre Jean Hautstont.

1894  à 26 ans, rencontre Élisée Reclus.

1990 à 32 ans, rédige un premier article dans La Fronde, journal écrit et géré par des femmes ; écrit « Pour la Vie » un texte anarchiste préfacé par Élisée Reclus. (1900)

1904 : à 36 ans, se marie en Tunisie avec Philippe Neel.

1911 : à 43 ans, départ pour le grand voyage

Inde 1, Sikkim 1, Népal, Inde 2, Sikkim 2,

En 1913 elle rencontre Aphur Yongden qui a 13 ans, compagnon de tous ses voyages,

En 1914, elle devient la disciple du gomchen de Lachen qui l’initie au bouddhisme tantrique.

Passage en Birmanie, escales en Malaisie, Singapour, Hong Kong et Shangaï, arrivée au Japon, puis Corée, Tibet oriental

Le 28 janvier 1924 à 55 ans, arrive à Lhassa.

1925 à 57 ans elle revient en Europe après 14 ans de voyage.

1927 publication de Voyage d’une parisienne à Lhassa.

1928 : elle achète sa maison de Digne en son nom.

1929, elle adopte Aphur Yongden (Albert Aphur Yongden David).

1937 à 1946 : Chine (en pleine guerre civile)

1955 : mort de Yongden, alors qu’il a 56 ans.

1957 : à 89 ans, envisage de repartir en Asie.

A 100 ans 9 mois et 8 jours s’éteint à Digne le 8 septembre 1969

Bien sûr, j’ai vécu cette visite déjà conquise par la personnalité d’Alexandra et en totale conscience de ma subjectivité. Je ne perds pas de vue ses effets de communication ni son fichu caractère ni même les diverses réinterprétations de préceptes mais je plonge délicieusement dans le mythe de cette femme qui a traversé le XXème siècle bouleversé par les innovations et les changements de tous ordres, multiplié les expériences et fait preuve de grandes audaces, l’Alexandra David Neel, « lampe de sagesse », « femme aux semelles de vent ».

Quelques citations d’Alexandra David Neel :

« A l’origine de toute connaissance, il y a la curiosité, elle est la condition essentielle. »

« J’ai le mal du pays pour un pays qui n’est pas le mien » (elle parle du Tibet)

« Ce n’est pas le but qui compte, mais le chemin qui y mène. »

“ Négligez les petites choses sous prétexte qu’on voudrait en faire des grandes, c’est l’excuse des lâches. ”

« Choisissez une étoile, ne la quittez pas des yeux. Elle vous fera avancer loin, sans fatigue et sans peine »

« Une fois en route, tout se simplifie. »

” Le jour où l’on renonce à manger du poulet c’est qu’on y tient plus beaucoup ou que l’on préfère à la saveur du poulet, celle des principes au nom desquels on y renonce.” Vérité absolue. Et tout l’enseignement du Bouddha est là. Il n’a jamais demandé aux gens […], de se mutiler moralement ou physiquement par la renonciation. Il leur a simplement dit de regarder, d’analyser, de se rendre compte de la valeur des choses et de se décider ensuite. Le bouddhiste ne renonce qu’à ce à quoi il ne tient plus parce qu’il en a mesuré le vide, le néant.”

« Il n’est d’autres enfers ou d’autres paradis, point d’autres dieux protecteurs ou terribles que ceux que nous créons ; pas d’autres bénédictions que celle que nous nous conférons nous-mêmes. »

Ce film retrace son voyage jusqu’à Lhassa :