ART et SPIRITUALITÉ, Marie Radigois

« Tout ce qui en ce monde, brille d’intelligence ou de beauté, Prend sa source dans un fragment de ma divine majesté » Bhāgāvād Gitā, chant X
Marie Radigois

« Tout ce qui en ce monde, brille d’intelligence ou de beauté,

Prend sa source dans un fragment de ma divine majesté »

Bhāgāvād Gitā, chant X

Art de vivre,

Art de danser,

Art de cuisiner,

Art de ranger,

Art de marcher,

Art de courir,

Art de voyager,

Art de jardiner,

Art d’écrire,

Art de raconter,

Art d’écouter,

Art de soigner,

Art de rire,

Art de jouer,

Art de dessiner,

Art de peindre,

Art de respirer,

Art de s’étirer,

Art de dormir,

Art de perdre,

Art de gagner,

Art de mourir,

Art de vivre…

Art de s’émerveiller.

Si j’écoute ce qu’évoque le mot « art » dans mon esprit, il résonne ainsi : « ce qui est fait avec amour, avec attention ». Et qu’est-ce que l’amour ? Vaste et subtile vibration qui nous anime, mouvement qui émerge de la Source, dans l’écoute et la présence, au-delà des mots limités.

Il y a peu de temps j’entendais Éric Baret énoncer que l’Art concerne ce qui est gratuit, inutile, sans finalité.

« L’art rituel dans le sens traditionnel célèbre la vie. Il n’y a donc aucune intention possible » (1)

Dans la qualité et l’intensité de la présence, de l’attention, nous pourrions voir le « Tapah » (2), l’ardeur avec laquelle il est possible de se laisser absorber dans l’attitude, le geste.

Si l’on se réfère à une définition plus académique, l’art est défini comme une habileté, une adresse, une aptitude avec le cas échéant une connaissance technique, une méthode, des règles nécessaires, venant s’ajouter aux potentiels dons naturels. Cela peut faire écho à « Svādhyāya » (2), l’observation, l’écoute, la connaissance, la prise en considération des éléments présents…

In fine, s’abandonner, laisser être : « Īśvara pranidhāna »(2), lâcher-prise sur le résultat. Si l’artiste peut maîtriser son art, sa technique, créer ne peut être une attitude de contrôle. Ainsi la création artistique comme une intégration possible du yoga de l’action : «  Kriya Yoga » (2), le yoga de la purification ? Purification du mental dégagé des histoires, des vouloirs, des illusions.

La spiritualité dans tout cela ? À mon sens pas de meilleure définition de la spiritualité que ce qu’exprime Nisargadatta Maharaj : « La spiritualité c’est la réalité ». Ce que chacun est, au-delà de toute forme, au-delà de toute manifestation. Ainsi l’art du yoga que de nous inviter à voir cette réalité, à réaliser la vérité de notre être.

Pourrions-nous alors considérer l’art comme une matérialisation possible du non matériel, au plus proche de ce que nous sommes réellement, par-delà tout jugement, tout commentaire ?

Et la pratique artistique une forme de Yoga de l’action, de yoga de la purification, où le sujet s’efface, totalement absorbé par son geste et la maîtrise, l’attention, la présence, que cela nécessite ?

Il y a quelques années, j’ai été initiée à la réalisation de Tangkas tibétains. Sans rentrer dans les détails, je garde à l’esprit la façon dont le temps s’effaçait totalement durant ces moments. L’absorption totale que suscitait cette pratique (très précise et codifiée dans la réalisation), me faisait totalement perdre la notion de temps. Une journée complète à dessiner pouvait sembler avoir duré quelques minutes… Comme une immersion totale dans l’atemporel. Un sentiment de paix et d’accomplissement perdurait au-delà de la pratique (3).

Ce fût le cas aussi lors de cessions de réalisation de Mandala de sable selon la pratique traditionnelle tibétaine. Je remercie infiniment feu l’ami Hubert, pour toute sa générosité et son enthousiasme à transmettre cet art pour lequel il avait un don certain (4).


Durant ces ateliers c’était à chaque fois un émerveillement de constater la qualité d’attention présente pour chaque participant, alors que chacun savait qu’en fin de journée chaque mandala serait dispersé. Impermanence de toute chose manifestée qui paradoxalement invite à prendre soin de cette manifestation et à se plonger dans l’infini de l’instant, dans l’atemporalité de la pure présence.

Les propos de Jean-Marc Mantel, me semblent aussi éclairer la façon dont Art et Spiritualitépeuvent être associés : « Le faire est un mouvement qui se déroule dans le non-faire. Lorsque vous réalisez que ce qui objective le faire est en dehors de lui, vous comprenez que le faire ne pourra jamais vous amener à la réalité de ce que vous êtes. Il est utile, dans le monde des formes, pour bâtir, maintenir, détruire. Mais il est incapable de vous amener à l’être, à moins que vous ne puissiez remonter le fil du faire, qui, en fait, émane de l’être, tout comme le fil émane de l’araignée. Le faire naît et meurt dans l’être. L’être, ni ne naît, ni ne meurt. Le faire qui s’articule dans l’être est intelligence. Le faire qui œuvre pour son propre compte est ignorance » (5).

Ainsi considérer la pratique artistique (avec la maîtrise, l’attention, l’apprentissage qu’elle peut requérir) comme un chemin vers la Source ? Le chemin du retour est aussi possible : l’art une expression de la Source dans une attitude d’abandon, d’inspiration, pure lumière, pure intelligence s’exprimant gratuitement, inutilement…

Et ceci peut être profondément utile et nécessaire !

Et ceci peut se vivre avec joie dans les gestes du quotidien, car il ne s’agit plus de faire ce que l’on aime, plutôt aimer ce que l’on fait…

Aimer se réveiller,

Aimer danser,

Aimer cuisiner,

Aimer ranger,

Aimer marcher,

Aimer courir

Aimer voyager,

Aimer écrire,

Aimer écouter,

Aimer soigner,

Aimer rire,

Aimer jouer,

Aimer dessiner,

Aimer peindre,

Aimer respirer,

Aimer s’étirer,

Aimer dormir,

Aimer perdre… car il n’y a rien à gagner,

Aimer gagner… car il n’y a rien à perdre,

Aimer travailler,

Aimer jardiner,

Aimer s’asseoir,

Aimer s’émerveiller…

Tout un art de vivre !

  1. Yoga Sūtra de Patanjali
  2. À l’école de Jean Klein, entretiens de Ludovic Fontaine. Almora Editions
  3. Atelier de Tangkas tibétains de Buchung Nubgya – Dharamsala 2011
  4. Atelier de pratique de Mandala de sable – Crolles 2019
  5. Jean-Marc Mantel – Le mirage du moi, Le spectacle et le spectateur. Editions Acarias, L’originel

Photos :

– Marie Radigois

– Capucine Pernelet pour le « mandala culinaire » et le « mandala de la nature ».