Les ancêtres de l’espèce humaine ont-ils failli disparaître il y a 900000 ans, du fait de contraintes climatiques ?
Bernard Klein, mail :
Une étude1 publiée en septembre 2023 dans la prestigieuse revue scientifique « Science » suggère une réduction massive de 98,7% de la population d’un de nos ancêtres précoces entre ‑ 930000 et ‑ 813000 années, passant d’une population de 100000 à 1280 individus. Cette réduction massive coïncide avec une période de grande glaciation (‑ 900000 ans), a duré 117000 années, avec un fort risque d’extinction de notre ancêtre. Les chercheurs estiment que cette réduction a entraîné une perte de deux tiers de la diversité génétique et a probablement façonné des caractéristiques majeures de l’homme moderne, dont la taille du cerveau. Cette réduction massive pourrait expliquer l’extrême rareté de fossiles d’hominines trouvés entre ‑ 950000 et ‑ 650000 années. Puis la population de nos ancêtres a rapidement augmenté, probablement du fait d’améliorations climatiques selon les auteurs de l’étude.
Comme vous pourrez le lire ci-dessous “Pour en savoir plus”, cette étude souligne que notre génome actuel a gardé en mémoire le long processus d’évolution de nos ancêtres, tout au moins sur un million d’années. L’originalité de cette étude est d’avoir trouvé les clefs pour déchiffrer cette mémoire.
Cependant, il faut souligner que ces récentes données spectaculaires sont discutées, et c’est bien normal. Notamment, dans un commentaire publié dans cette même revue Science2, deux scientifiques appellent à relativiser ces données qui doivent être confirmées par d’autres approches scientifiques, tout en rappelant qu’une période de grande fragilité de nos ancêtres il y a 1,1 million d’années a déjà été suggérée. Ils soulignent que ce millier de survivants a dû occuper un territoire très limité afin de maintenir suffisamment de cohésion sociale pour survivre.
Dans le paragraphe ci-dessous “Pour en savoir plus”, nous rappelons les étapes essentielles de l’apparition de l’espèce humaine. Puis nous expliquons comment l’intelligence humaine et la démarche scientifique ont pu remonter l’évolution humaine sur un million d’années avec une telle précision, alors que très peu de fossiles sont accessibles.
“Pour en savoir plus”.
Quelques rappels (voir référence 3 pour plus de détail). La divergence entre chimpanzés et premiers ancêtres de l’espèce humaine a commencé il y a 6-7 millions d’années: Sahelanthropus tchadensis, ‑ 7 millions d’années (Ma), Ardipithecus ramidus (‑ 4,4 Ma), Australopithèque (‑ 4,2 à ‑ 1 Ma), Homo habilis (‑ 2,4 à ‑ 1,6 Ma), Homo erectus (‑ 1,9 Ma à ‑ 140000 ans) dont est issu Homo sapiens (‑ 300000 ans à maintenant), mais également de quatre autres lignées qui se sont éteintes: Homo heidelbergensis (‑ 700000 à ‑ 200000 ans), Homo rhodesiensis (‑ 300000 à ‑ 125000 ans), Homo neanderthalensis (‑ 400000 à ‑ 40000 ans) et Homo denisovensis (‑ 400000 à ‑ 40000 ans). L’étude de Science suggère que cette réduction massive de 98,3% de nos ancêtres, survenue entre ‑ 950000 et ‑ 650000 années a permis l’émergence de l’ancêtre commun à Homo sapiens, Homo neanderthalensis et Homo denisovensis.
Comment ces scientifiques ont-ils procédé pour remonter le temps sur un million d’années? La méthode repose sur le décryptage complet du génome humain en 2003, la conception par l’industrie de séquenceurs haut débit à moindre coût, ce qui a permis de séquencer complètement le génome de 3154 êtres humains contemporains, dont les données sont accessibles au travers de grands consortiums internationaux. Le génome de nos tout premiers ancêtres est de mauvaise qualité et peu exploitable. Aussi, c’est en utilisant des modèles mathématiques innovants et sophistiqués de génétique de l’évolution (Fast Infinitesimal Time Coalescent Process) que ces scientifiques ont pu remonter dans le temps la filiation des variations génétiques à partir des génomes contemporains. Les auteurs se sont focalisés sur la partie non codante du génome (98-99% de nos trois milliards de paires de base), moins sujette aux mutations rapides que la partie codante. En se basant sur des travaux scientifiques antérieurs, ils ont retenu un taux de mutation de nucléotide de 1,2 x 10-8 par durée de vie de 26 ans d’un individu. Et à partir de la diversité contemporaine d’une séquence génomique donnée, ils ont ainsi modélisé une remontée dans le temps pour retrouver la séquence ancestrale et sa diversité à diverses périodes.
1. Genomic inference of a severe human bottleneck during the Early to Middle Pleistocene transition. Wangjie Hu, Ziqian Hao, Pengyuan Du, Fabio Di Vincenzo, Giorgio Manzi, Jialong Cui, Yun-Xin Fu, Yi-Hsuan Pan, Haipeng Li. Science. 2023 Sep;381(6661):979-984. Lien html.
2. Did our ancestors nearly die out? Nick Ashton, Chris Stringer. Science. 2023 Sep;381(6661):947-948. Lien html.
3. Histoire évolutive de la lignée humaine. Wikipedia